Comment prendre en charge au cabinet une femme victime de violences?
En 1999, l’Organisation des Nations unies (ONU) a proclamé le 25 novembre comme Journée Internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Lors de cette journée, des opérations de sensibilisation sont menées par les gouvernements, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales pour lutter contre les violences faites aux femmes.
Cette journée a pour origine l’assassinat le 25 novembre 1960, en République dominicaine, des sœurs Mirabal sur les ordres du dictateur et chef d’État, Rafael Trujillo, après qu’elles aient subi des violences, au sein de leur famille ou hors du cercle familial (viols, coups et harcèlement sexuel), et des violences commises par l’État (tortures, viols des femmes incarcérées pour des raisons politiques).
La violence domestique à l’égard des femmes est un phénomène en recrudescence et qui ne connaît ni frontière géographique, ni limite d’âge, ni race, et concerne tout type de relations familiales et tout type de milieu social.
Les violences faites aux femmes constituent l’une des violations les plus répandues des droits de la personne à travers le monde.
À l’échelle européenne, 12% à 15% des femmes sont quotidiennement victimes de violences domestiques.
En France, le ministère de l’Intérieur vient d’annoncer que plus de 244 000 victimes de violences conjugales avaient été recensées en 2022, soit une hausse de 15 % par rapport à l’année précédente.
Le chirurgien-dentiste en voyant quotidiennement des dizaines de patientes, peut être concerné dans son exercice de tous les jours par ce phénomène. Il est particulièrement bien placé pour repérer les patientes victimes de violences conjugales, en effet dans 70 % des cas, les lésions sont situées au niveau de la face, du crâne et du cou (source EditionsCdP 2019).
Mais, comme la plupart des professionnels de santé, les chirurgiens-dentistes sont le plus souvent démunis face à cette problématique qu’ils connaissent peu ou mal. Et ils ne vont pas forcément repérer ces situations ni savoir comment agir pour protéger les victimes.
Comment détecter les signes de violence sur une patiente ? le degré de gravité ? Quelle attitude adopter ? comment aborder le problème avec elle ? Comment agir pour protéger les victimes ?
- Qu’entend on par violences conjugales ?
Les violences conjugales sont punies par la loi, qu’elles visent un homme ou une femme, qu’elles soient physiques (coups, blessures), psychologiques (harcèlement moral, insultes, menaces) ou sexuelles (viols, attouchements). Il s’agit des violences commises au sein des couples mariés, pacsés ou en union libre.
- Comment aider le praticien à détecter les personnes victimes de violence ?
Toutes les femmes, quel que soit leur statut socio-économique, leur âge, leur orientation sexuelle, leur état de santé, leur handicap peuvent être concernées.
Ces violences revêtent différentes formes – physique, psychologique, financière… – et ont des conséquences graves non seulement sur la santé des femmes mais aussi sur celle de leurs enfants : traumatismes physiques, développement de comportements à risque, impacts sur la santé mentale… voire décès de la victime.
Aussi, il est recommandé d’aborder systématiquement la question des violences avec chacune de ses patientes, afin de permettre à celles d’entre elles qui sont victimes de violence de parler si elles le souhaitent et ce même en l’absence de signe d’alerte. Un repérage précoce est primordial car les faits de violences s’aggravent et s’accélèrent avec le temps.
« Comment vous sentez-vous à la maison ? En cas de dispute, cela se passe comment ? Avez-vous déjà été victime de violences au cours de votre vie ? » sont autant d’exemples de questions à poser lors de l’entretien médical au même titre que celles concernant les antécédents familiaux, la consommation de tabac ou d’alcool.
- Quelles sont les particularités bucco-dentaires de ces victimes ?
Dans 70% des cas, des coups sont portés sur la face, le crâne et le cou. De plus, la position allongée, des gestes pénétrants, risquent de réactiver des souvenirs traumatiques, de faire revivre des violences.
Pendant l’examen clinique, le praticien pourra relever un certain nombres d’indices :
- Récidive de fracture dentaire, de fracture de prothèse, etc.
- Plaies de la face ou des muqueuses buccales, ecchymoses, hématomes, etc.
- Asymétrie du visage, affaissement facial.
- Troubles de l’occlusion.
- Douleur de l’articulation temporo-mandibulaire.
- Attitude « trop » résistante à la douleur.
- Attitude très docile, voire figée.
- Troubles somatiques.
- Impossibilité ou refus d’ouvrir la bouche.
- Réflexions lors de l’examen clinique comme : «J’ai l’impression qu’on me viole».
- Quelle approche / Attitude adopter ?
Favoriser un climat de confiance et en adopter une attitude bienveillante, permet de faire savoir aux victimes qu’elles disposent d’un interlocuteur à leur écoute, sensibilisé aux situations de violences au sein du couple. Cela pourra libérer la parole sur le sujet, lors de cette première consultation ou peut-être d’une consultation ultérieure
Pour le praticien, il est essentiel d’adopter une attitude empathique sans porter de jugement.
- Comment agir face à une victime de violences ?
La loi du 30 juillet 2020 qui modifie les dispositions de l’article 226-14 3° du code pénal prévoit une dérogation au secret médical : En cas de violences au sein du couple, la levée est possible lorsque les violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et lorsque la victime se trouve sous l’emprise de l’auteur des violences.
Le professionnel de santé peut alors écrire directement au procureur de la République pour protéger la victime.
Cette démarche peut être réalisée sans l’accord de la personne victime mais le professionnel de santé doit l’informer de sa décision. Le professionnel de santé ne sera pas poursuivi, ni puni par la loi pour révélation du secret médical. Mais il est tenu de connaître les mécanismes de la violence pour bien évaluer les faits et savoir comment agir face à une victime.
Le chirurgien-dentiste est à même d’initier des actions concrètes adaptées aux besoins de la patiente.
Par exemple, il constitue un dossier médical (CMI) pouvant être utile à une éventuelle procédure judiciaire secondaire ; initie des mesures de protections si la situation est grave ou à risque élevé ; établit un certificat médical pour faire valoir les droits de la victime ; si besoin et avec l’accord de la victime fait un signalement au Procureur de la République.
Il a aussi pour rôle d’informer la victime des outils et des ressources qui peuvent l’aider ainsi que de l’orienter vers les acteurs de proximité sur lesquels elle pourra s’appuyer pour être mise en sécurité; Il peut conseiller à la patiente de se rendre, en cas d’urgence, dans les locaux des services de police ou de gendarmerie, ou encore d’appeler le 17 qui permet de joindre ces services (ou le 112 d’un téléphone portable) et inviter la victime à appeler le 3919 (Violences femmes info), numéro gratuit d’écoute et d’information anonyme et qui n’est pas repérable sur les factures et les téléphones.
Pour vous accompagner dans le repérage des femmes victimes de violences au sein du couple, consultez notre boite à outils numériques Inter URPS :
En France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint ou ex conjoint.
Repérer au plus tôt ces situations est crucial et peut sauver des vies. Les professionnels de santé ont à ce titre un rôle clef à remplir.
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